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Galerie L'oeil en relief
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13 janvier 2011

Dragon de feu

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Dragon de feu

Il est encore très tôt ce matin et la journée d'hier m'a sorti du sommeil. Le rendez-vous est inéluctable. L'esprit est agité par ses propres incohérances, ses justifications, son orgueil, sa non-acceptation du monde tel qu'il est, et surtout, la vision qu'il a de lui-même; ce terrible constat qui vient s'ajouter aux tendances émotionnelles, aux impulsions abusives qui déstabilisent son environnement proche. 

ll y a cinq ans, je n'avais pas choisi l'Inde par hasard ! Que dis-je il y a plus de vingt ans ! Mais cela aurait été à l'époque une catastrophe. Je n'étais certainement pas assez armé pour accepter de me voir, ou de me rencontrer. Ce pays nous confronte directement à soi. Ce que l'on sait et qui n'est pas nouveau lorsque l'on vit chez soi, dans son propre environnement, peut toujours se résoudre à la minute suivante ou au lendemain. Sur cette terre où les êtres humains sont implacables, ce n'est pas le cas. Les choses se déroulent dans l"instant, et c'est démuni, dans une parfaite nudité que l'on découvre. A la maison, nous avons toujours quelques terriers, des miroirs déformant, des barricades de livres et d'idées spirituelles, des informations sur le monde sur lesquelles nous pouvons projeter notre désarroi, nos souvenirs, nos résolutions et puis nos premiers jets de colère que l'on pense maîtriser.

Chaque voyage ici a été éprouvant de vérité. On est toujours attiré par l'Inde pour diverses raisons, mais la plus significative vient de son universalité. L'image du carrefour dont je parle est une marée d'êtres humains aglutinés et tous plus affairés et non affairés les uns que les autres. Ajouté à cela, un enchevêtrement de véhicules à moteur, à cheval, à boeuf, à tricycle, à trimotorisé, à cycle, à pieds, ou à pied, ou à rien, certains transportent des choses, d'autres des humains ou des animaux, d'autres ne font rien, ou bien leur toilette, se font couper les cheveux et tailler la moustache. Un conglomérat d'époques qui se chevauchent sur une même avenue ou une croisée d'avenues, qui forment un monde à lui seul.

C'est un puits de commerce sans aucune garantie. un anéantissement certain pour tous ceux qui puisent au fond d'eux-mêmes, afin de se construire et d'y revenir lors d'ouragans, ce fameux monde magique et parfait qu'ils se sont promis. Là où l'amour, la paix et l'équité font partie de l'équilibre naturel. Mais celui-ci est tout autre. De tous temps et partout sur la terre, ce fameux monde est légende. Sans avoir beaucoup visité d'autres demeures, je pense que l'Inde est un regard à la loupe de celles qui se sont civilisées ou qui tentent encore de le faire, et d'autres qui vivent sur leurs rosiers. C'est implacable.

Ces deux chauffeurs de touck touc nous ont amené voir le palais marbré, derrière la vieille ville. Puis il fallait bien qu'ils rentabilisent leur après-midi négocié à trente roupies de l'heure pour nous amener dans les handy-kraft les moins chers du pays, et même du monde. Et voici que celle qui m'accompagne ne déroge pas à son entendement. S'ils nous amènent où ils veulent eux, ils n'auront rien. Ma réaction est toute autre. Conscient que si nous ne jouons pas le jeu, leur comission avec ces magasins sera moindre. Je m'avance, comme je l'ai eu fait à l'âge de vingt ans au Maroc. A l'époque cela m'a valu une belle galère ! Mais là non ! On y va ! Après coup je dirais on y retourne. On achète chacun un truc, on ne peut pas faire plus bas. "C'est pour vous que nous l'avons fait" leur dit-elle à ma place. Pour qu'ils puissent continuer à vivre ainsi, qu'ils restent crédibles dans leur rôle de rabatteurs. Nous poursuivons comme convenu jusqu'au pied de la citadelle. Cela fait trois heures que nous tournons ensemble. Ils nous disent que nous n'avons plus qu'à monter à pied et qu'ils ont à faire ailleurs. Nous n'avons pas été des bons clients, donc, c'est sans scrupules qu'ils nous laissent dans ce mince carrefour, où les touristes sont jetées comme des malpropres à toutes les mains tendues. Celui qui parle anglais en ajoutant dans un par-coeur français, "le coup de bambou", me demande à présent de payer ces trois heures. Bizarrement, mon esprit pense à cinq heures et à cent cinquante roupies. Ma compagne me reprend en comptabilisant sur une base de cent roupies. Alors je tends un billet de cent. La tête du coup de bambou n'est pas au mieux. Alors je retends vingt de plus, et vingt de plus. On est vraiment pas loin du cent cinquante qui a résonné en moi. C'est là, tout l'art et la faculté de transmettre ou bien d'imposer sa volonté à l'autre, surtout si cette dernière personne a la faiblesse de mettre à disposition sa propre énergie. J'ai vécu la même chose cette dernière année. Chez moi cela prend apparemment plus de temps à accepter. Ici, c'est direct. Nous sommes obligés de voir, et il n'y a vraiment aucun moyen de se planquer. C'est très difficile et déroutant. A tel point que l'ego sort de ses gonds, et qu'il pointe son orgueil, sa colère, et toutes ses bonnes résolutions comme artifices.

Mais les choses ne s'arrêtent pas en si bon chemin. Nous sommes montés en haut de la citadelle, nous avons vu Jaïpur de haut, de très haut. La redescente était fragile, et les genoux tout endoloris auraient-ils fait redescendre la pression. De retour au carrefour des mains agripantes, ma fermeté est mise à l'épreuve. Mais en cette soirée de gros traffic, les rues sont fermées et il faut faire des tours en plus. Nous arrivons au cinéma comme prévu. Mais ce n'est pas le bon. Ca ne fait rien, il y a là Mac Donald's qui vient de cligner de l'oeil. Le gars du touck-touc nous rend la monnaie au compte-goutte. Je ne me souviens même plus de mon état d'esprit tant c'est énorme. Un si petit truc qui prend toute la place. Sortis du palace américain, repus de coca et de la fameuse frite-hamburger fish, nous avons droit au harcèlement de rue. C'est intenable. Nous représentons un salut qui leur échappe. La couleur de notre peau, ou bien un passé européen semé sur cette terre colonisée...

J'ai envie de reprendre de volée du pied gauche les restes d'un coca éventé mentalement. Taper dans quelque chose d'autre qu'à l'intérieur de moi-même. C'est un mauvais sketche. L'agression est partout, mais cela tient avant tout de mon état d'esprit, qui dépend encore de l'emprise de l'ego. Je n'aime pas ce que je suis et pourtant je l'alimente de toutes parts, comme une colle qui se rajoute dès que l'on bouge le petit doigt.

Nous terminons la soirée à la guest house du coin, la plus clean pour manger et pour connecter avec internet sans risque de verroler la clé USB qui sert de pont entre l'aube et cette petite galerie: l'oeil en relief. La rencontre avec un français fait du bien, et les résonnances sont les mêmes pour tous. Il a aussi l'habitude de voyager partout ailleurs, et pour lui aussi, ici c'est particulier. Il faut une vigilance sans faille. Il part pour Bénares. Ce que nous mangeons est un régal. Cette douceur me ramène à la conscience de faire toute chose avec qualité et non pas densité. Les personnes qui tiennent ce lieu sont adorables et prennent du temps pour que leurs clients et visiteurs se sentent bien. Après une telle journée, je n'ai quand même pas envie d'être suspicieux. Je prends avec gratitude.

Dans la rue, un monde nouveau est en réponse à ce que je suis maintenant. Il y a encore mille façons d'aborder chaque situation. Ma seule décision en dépend. Le dragon de feu a cet amour dans le coeur. La colère n'existe seulement si l'on croit qu'elle est justifiée. Ceux qui vivent ici font ce qu'ils ont à faire avec ce qu'ils ont appris, c'est là la chance que nous avons.

 

 

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