Kaju curry
Kaju Curry
Hier soir nous avons
terminé la journée dans le petit restaurant, attenant au cinéma du carrefour.
D'ailleurs, pendant notre repas, le hall magique où l'on prend les billets se
remplissait à une telle vitesse, que c'était à se demander si la projection du
film n'aurait pas lieu dans la rue. Et en même temps, je dégustais mon Kaju
Curry; le délice des délices, qui m'a ensorcellé le palais, les papilles et la
montagne précieuse d"où jaillissent toutes les pensées. Des noix de cajou
ensevelies dans une sorte de marmelade ou purée végétale, une sorte de
sensualité sous-jacente, ravivée par la présence d'épices complices et
opérantes. Est-ce là le bonheur goûté à la bouche des saveurs les plus prisées
de mes souvenirs culinaires ? Le bol est un peu léger, forcément ! Mais comme
je l'ai évoqué plus haut dans le message du dragon de feu, là il s'agit de la
qualité et non plus de la densité. Alors, j'apprécie. Ca roule entre les dents,
ça fond de partout et ça croque avec délicatesse. L'instant divin me rapproche
des drapeaux à prières tibétains, là haut sur la passe des intentions du coeur,
en Himachal Pradesh. Ainsi, j'embrasse ce que je mange et cela me nourrit, me
nourrit vraiment. Mon corps et toutes ses cellules, sa chambre des machines se
remplissant d'abondance, remercient la montagne précieuse de sa prise de risque
vers l'inconnu.
Pour cela, l'Inde est un
pays merveilleux. Dans tous les sens il l'est lorsque'il s'agit de se nourrir.
Dans la rue, le tchaï du matin que l'on peut prendre avec un gâteau coûte environ dix roupies only; soit dix sept
centimes d'euros. Puis, le soir, essentiellement, les marchands de galettes,
chapatti, roti, naan, accompagnées de sauce végétale au curry; pour deux
d'entre elles: dix roupies également. Ce qui veut dire que pour environ
cinquante centimes d'€uros, une personne a de quoi tenir une journée, même si
c'est peu et bien entendu pas assez.
Dans une cantine, on ne
sert généralement qu'un ou deux plats: thali, dosai, dal, des choses très
simples. J'ai un faible particulièrement pour les masala dosai; une grande
crèpe grillée, préparée à la farine de lentille, qui renferme quelques petites
patates un peu écrabouillées. Mais que c'est bon ! Vingt cinq à trente roupies
le plat, c'est possible.
Sinon, on passe à une
catégorie moyenne, comme ce restaurant qui lorgne sur le hall du cinéma. Là il
y a de tout. Même les quantités sont déterminées. Et les prix sont encore
accessibles. Kaju curry, c'est cinquante cinq roupies; plus deux roti, dix
roupies; plus une portion de riz blanc; vingt roupies = quantre vingt cinq
roupies, l'équivalent de un €uro et demi only !
Ensuite, il y a un peu
plus cher et tout aussi délicieux de toute façon, notamment dans certaines
guest house. C'est un régal à chaque fois, même lorsque les yeux, à la vue de
certains plâts, prennent les commandes d'une machine arrière qui se débranche
au premier et étrange coup de cuillière. Bizarrement, les miens s'arrondissent
et forment un grand cercle de joie à chaque fois que nous évoquons une petit faim quelconque. J'avoue ma
gourmandise à ce point pour leur savoir-faire et l'attention qu'ils y mettent
pour se nourrir. C'est là aussi un geste d'amour, qui fait naître en soi une
vraie gratitude.
Ce qui est paradoxal,
c'est que beaucoup de personnes vivent dans la rue, que celles-ci sont très
pauvres, ayant la charge de beaucoup d'enfants petits, très petits, et qu'il
soit tout de même possible de se nourrir pour peu d'argent.
Le kaju curry de la
veille a donc fait son euvre jusqu'à ce matin, car au réveil, mes premières
pensées m'ont rappelé que cela pourrait être le titre de ce message.