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Galerie L'oeil en relief
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29 janvier 2011

L'évidence

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L'évidence

Jodhpur est la ville bleue du Rajasthan, une mégapole d'un million d'habitants, ni plus ni moins. La vieille cité est un labyrinthe formé de dédales de rues et de ruelles incompréhensibles. Seules quelques places permettent d'ordonner ou de coordonner la mémoire, pour qui cherche à s'y retrouver au risque de tourner en rond. Le fort domine le tout de très haut et de très loin. Le temple hindou marque la manifestation du divin en ces lieux. Vers 16h30, les voix musulmanes s'élancent de plusieurs passerelles simultanément, et le respect à la prière vient de lui-même toucher le coeur.
C'est l'instant choisi par deux gardes du corps du gouvernement pour l'interrogatoire quotidien. D'où venez-vous ? Mariés ! Pas d'enfants ! Comment ? Pourquoi ? Ici aussi, on pense que les enfants servent à assumer des parents vieux et pauvres, et démunis. On fait des enfants pour penser à soi, comme s'il s'agissait d'une assurance.
Nous trouvons au matin une maison Bishnoï, petit peuple tribal, vivant en famille dans une ferme, avec femmes, enfants, hommes, animaux et une éthique sans reproche, vantée par tous les centres de communications de ce monde. Le guide qui nous y mène dirige tout ce qu'il y a à faire, en y mettant toutes les politesses. Ce qu'il a à vendre en général, c'est une famille musulmane, une autre Bishnoï, un atelier de tissage, deux antilopes, trois gazelles, un lézard sans sa queue d'origine et trois paons réfugiés dans les fourrés, plus une fabrique d'exportation du Rajasthan, fallait-il encore s'en douter.
Nous avions des questions à poser, à ces fermiers respectueux de la vie animale et végétale, et également un échange différent de celui du tchaï. Mais le guide avait déjà toutes les réponses et ne s'amusait guère lorsque je lui demandais de traduire mot à mot l'idée de départ. Le monsieur de la ferme avait sorti son attirail à opium, comme une vieille habitude bien rôdée, dès qu'un blanc ou une ribambelle un peu présomptueux ose se pointer avec quelques "rupees" au bout de la langue.  A ce petit jeu, personne n'était de taille.  Nous n'avions rien à faire ici, uniquement à perpétuer l'enchainement débile d'une curiosité malsaine. Bien entendu qu'il ne mange pas de viande, qu'il respecte la vie ! Et alors ? Ils utilisent le cuir, le bois, et se serve des premières richesses pour vivre, comme nos ancêtres du paléolithique et du néolithique. Ils tirent du lait de leur vache et la légende de la gazelle prenant le sein d'une mère Bishnoï, est une peinture ajoutée à la grande fresque publicitaire des guest-house de Jodhpur, et des innombrables guides improvisés pour ce genre de safari.
Mon regard sur le monde n'est pas nouveau. La mélancolie matinale qui s'est installée en moi n'est qu'un effondrement de toutes ces attentes qui nous enchainent les uns aux autres. Je regarde simplement comment le guide se présente à moi en m'apportant son aide pour ouvrir la portière, comme s'il me manquait les bras, les mains et la tête. Je ne le laisse pas faire. On est déjà dans la stratégie et ça sent aussi fort au moins que dans les égoux extérieurs qui s'étalent à nos pieds. On zape ainsi l'arrêt dans la famille musulmane qui nous attendait surement à bras ouvert. Le coup d'après les Bishnoïs, on finit par laisser faire sans rien dire. Et c'est là que nous découvrons et que nous échangeons avec le tisseran. Les petites huttes en terre nous ramènent à la poésie. L'homme a compris qu'il ne nous vendra rien. Sept mille roupies un tapis vendu pour trois semaines de travail, à raison de huit heures par jours en moyenne.  Il a toute mon admiration.
De même que cette dame qui apporte sa contribution en faisant à manger aux gamins de ce petit home d'accueil, régie par l'Unicef. Les enfants pauvres des villages viennent ici, à l'école et apprendre des choses. De même encore que cette jeune fille qui a le sourire et la bienveillance de nous donner à manger autant qu'on veut. C'est la petite soeur de notre guide. Dans ces conditions, nous nous régalons.
Le safari aux abords de Jodhpur perd de son éclat et le guide lui-même, de son efficacité, dès que l'on parle de trouver une banque. Il nous lâche dans la rue, en nous disant qu'à notre hôtel, il y a un service pour changer de l'argent. Il n'a plus le temps de s'occuper de nous, d'autant qu'il a compris que les pièces, les pourboires, sont réservés aux personnes âgées et handicapées de la rue.
Rien n'est grave. Du haut de notre terrasse, j'entends mes amis revenant du Mexique, avec dans la voix une certaine amertume, née d'échanges  exaspérants entre êtres humains. Le sérieux de nos petites vies et de nos inséparables espoirs ne pèse vraiment pas lourd. Les Bishnoïs sont une réalité. L'homme nous a regardé et nous a salué. Ma main lui a montré le ciel en partant, et il m'a répondu par le même geste: "c'est pareil pour moi".

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