Prince de Daba
Prince de daba
Très souvent dans les fast-food indiens, ou dabas restaurants, petites cantines des bords de routes ou de rues, qui offrent des places assises à l'intérieur, travaille un petit gars de sept ou dix ans, qui sert les plats, nettoie les tables, s'occupe du bon fonctionnement de l'eau, et va chercher le tchaï chez le voisin. Tout ce que le client souhaite, le gamin doit être capable d'y répondre aussitôt.
Le maître des lieux qui trône très souvent derrière la caisse, la mine fermée et reponsable, surveille à la loupe les moindres détails depuis son comptoir jusqu'aux toilettes. Lui arracher un sourire demande au grand vainqueur d'être précis dans ses intentions, et l'aide d'un matériel qui sort de l'ordinaire, tel qu'un appareil photo, peut-être d'un grand secours.
L'enfant dépend donc d'un tel énergumène, qui a dû traverser dix fois l'Inde pour en arriver là. A lui donc à présent, de faire ses preuves et de se montrer impeccable, surtout lorsqu'un couple à la face blanche s'avance sur un menu écrit en hindi. Nous en avons vu très souvent, même à chaque fois. Ces enfants qui assurent le service comme s'ils étaient téléguidés par l'officier honorant la caisse du lieu. Il nous en tombe à chaque fois une pièce de cinq roupies, et des sourires qui trouvent une réponse juvénile. Mais l'expérience est déjà là, cela se sent dans le geste et une vigilance aguerrie.
Shérif, un des amis drivers de Noor, qui nous a ce soir raconté son histoire, en est un bon exemple. Né dans une famille de douze personnes, il a très tôt compris qu'il devait remplacer l'école par le travail. Tout d'abord asssitant d'un vendeur de tchaï de la rue, il lavait les verres et gagnait cinq rupees par jour, il a également pris conscience par l'intermédiaire d'un bakshish de cent dollars, qu'il pouvait gagner sa vie autrement. C'est dans les rues de Jaïpur qu'il a fait ses premières armes, en se faisant employer finalement comme rabatteur, pour un magasin en particulier. Puis il devint chauffeur de touc-touc, puis driver pour une compagnie de taxi. A son tour, il eut sa propre entreprise. Aujourd'hui, c'est la reprise suite à deux années d'interruption.
Certains enfants d'une même famille peuvent travailler ou aller à l'école. Chacun se prend en main à sa façon. L'essentiel est de pouvoir se marier un jour, et avoir des enfants, et de faire vivre sa famille.
Les gamins que l'on
croise dans les dabas ou fast-food, servant chapattis, dal, aloo, gobi et tchaïs,
méritent vraiment de sentir le vent les traverser, pour qu'ils trouvent la
liberté de respirer l'air frais, et d'écarquiller les yeux quand la beauté
nourrira leur ventre. Je me sens réellement complice et frère de ce
tempérament, en les accompagnant du regard et par la pensée, qui parfois ose
visiter leur avenir, pour y planter les graines d'un arbre qui ne fleurit
qu'avec des souhaits. Leurs yeux sont souvent très rassurants, car leurs
racines sont déjà fortes et tenaces. Ils sont ici pour apprendre, et nous le
montrent en anticipant sur la demande. Ils prennent ainsi l'allure d'un prince,
que l'on ne peut soupçonner encore, d'être un fils de l'Inde.