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Galerie L'oeil en relief
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16 février 2011

Aimer et respirer

Aimer_et_respirer

Aimer et respirer

Nous approchons de la pleine lune et le silence pénètre dans le détail. Les fous de dieu inventent encore des pujas. Le silence les a intégrés et ils en sont aussi les artisans. Mon esprit s'en imprègne.

Hier matin, la solitude de la rue m'a accompagné du regard. Je cherche quelque chose. La complicité d'un cailloux, la voix d'un arbre sur mes épaules, le son d'une échoppe qui s'ouvre, le bruit soudain d'un brûleur qui s'allume sous la casserole encore neuve de vingt années cabossées mises au service du tchaï. Ou bien je cherche à voir. La venue d'un sadhu, d'une famille, des pieds qui trainent, des scènes de vie, de pélerins escortés par la bienveillance des esprits du lac sacré.

Quelqu'un d'autre fait comme moi, l'arme à la main et la banane à l'oeil, c'est le cas de le dire. Il vient de prendre pour cible une fenêtre. Dans l'encadrement, un enfant regarde le monde et se sait à présent découvert. Il voit le sourire de la banane et l'intention du monsieur. Le photographe mitraille à l'aveugle dans sa direction en demandant au fruit de faire le pitre. L'homme se tord en gesticules. Je devine seulement l'enfant. Finalement, il vient de passer une ou deux barrières invisibles. Je comprends. Cet homme est magicien, car il s'est rapproché de la fenêtre. La banane y est sans doute pour quelque chose. Il tient son arme à visions contre son coeur et envoie une rafale d'images à ventouse sur l'enfant. Ce dernier n'a rien senti et trop impressionné sans doute par le jaune et la forme du fruit tendu, il encaisse. Finalement, l'homme prend du recul et porte l'arme à son oeil suffisamment aiguisé pour le pointer du doigt dans le viseur. Il le mitraille en reculant. Un vrai magicien. Je ne suis pas le seul à voir la scène, car comme moi, les esprits de tous vents savourent le spectacle. Le show se termine. La banane a disparu dans un geste d'offrande. Je reste bouche bée, passionné et médusé. La pensée retrouve son espace en prétextant que les origines du photographe a sans doute son importance, car l'origine de l'oeil ne transmet peut-être pas la même perception en Asie qu'en Europe. L'ami chien lui aussi m'a vu. Il ouvre ma main à ses poils et m'offre une caresse à l'âme. Je retrouve ce contact qui manque à présent à mon quotidien. Le détachement se fait naturellement.

Nous nous retrouvons à une table ouverte au petit déjeuner, et à l'inconnu qui s'installe près de nous. Celui-ci se présente par l'histoire que nous connaissons tous: l'argent est bien au coeur du voyage et on se sent très souvent frustré, car cela obstrue les canaux essentiels de la communication. En cette matinée pluvieuse et cinématographique, l'inconnu est un couple belge, aux origines diverses. Elle est née corréenne, il est né italien. Mais ils sont belges, artisans, artistes, beaux, généreux, rigolos, amoureux, jeunes mariés, cultivés, ouverts, honnêtes, sincères, parfois belges, d'Italie, de France, du Luxembourg et du cinéma. L'échange s'enrichit d'écoutes et de paroles bien senties, nées d'expérience, d'humour et de maturité. L'ami transalpin roule des pierres brutes sous la langue et les ressort polies en mots qui exaltent nos papilles auditives. On passe ainsi de la cornaline au quartz rose, du rubis étoilé au lapis-lazulis si profond; enfin toute une gamme minérale et cristalline qui fait vibrer la terre.

Notre rendez-vous est pris cet après-midi pour monter jusque là haut, au temple. Notre marche s'émerveille. La nature apaise les tensions et les discussions se croisent. La conscience est dans le mouvement en alternant ses véhicules. L'espace augmente à mesure de notre avancée vers la hauteur. Cette conscience nous destine au monde et à l'interdépendance, et la montagne réagit à cela. Elle s'étire et nous rend à chaque pas, à chaque élévation du genou, plus vulnérable, plus tendre. L'air pénètre car l'effort provoque l'ouverture des poumons. L'italien revient dans son enfance montagnarde, je suis également sur un plateau pyrénéen, approchant des sensations subtiles et complices avec mon frère. J'aime cet inconnu soudain qui parle le belge avec des accents français et italiens.

Le temple était bien lié à l'élévation terrestre. La fraîcheur de l'amitié nous accueille sur un rocher. Le monde s'éveille différemment. L'espace nous prend avec lui, et l'ami-chien au poil soyeux pour les coeurs, qui nous a accompagné jusqu'ici, en fait également partie. Le temps nous laisse libre d'aller où l'on veut. Je n'hésite pas une seconde.

A la redescente nous perdons la trace de l'ami-chien, mais retrouvons celle d'une chouette, et d'une faune fabuleuse en oiseaux de toutes sortes. Mon être est nourri de choses belles, de manifestations simples et heureuses, et il en est de même pour ma compagne et nos amis. Nous poursuivons nos histoires, nos récits, sur le toit d'un restaurant dominant les ghats. J'aime ces personnes, leur présence qui m'étonne et me ravit. Ce matin je cherchais. Tout est là. La douceur, l'attention, le sentiment, la sensation et la poésie qui se vit en chacun de nous, car elle nous est interractive. Je sens ma compagne pleinement heureuse de cette journée, et elle le dit, elle qui a l'Italie à l'oreille et la Belgique à l'humour.  L'humoriste belge et asiatique partage également ses paroles. Nous rencontrer leur a fait du bien. Tout reste dans l'humilité, mais c'est chouette de l'entendre. Nous nous embrassons comme des enfants. Et comme un enfant, je les aime profondément.

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Commentaires
A
ta description est terrible : j'y sens tout ce qu'il y a d'odieux dans le fait de voler l'image de l'autre "rafales d'images à ventouses", "mitraille", "encaisse"... et ça rejoint ce que je te disais dans le fait qu'il est question de voler l'âme.<br /> je ne sais pas s'il est magicien ou proxénète...
A
ouf! oui, avec vous on respire... que de violences, de dureté, de visions difficiles dans les deux autres textes... comme si cette rencontre vous avait été envoyée pour vous reposer un instant. <br /> Heureuse que vous alliez bien. Prenez soin de vous mes amis.
B
merci
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