Waterfall

Waterfall

La terre sauvage attendait notre retour. Dès nos premiers pas foulés en son sein, je l'ai senti frémir. Un tel bonheur peut s'inscrire dans une mémoire sans faille. Car il s'agit aussi d'une solitude méritée sur le territoire des ours, des loups, des hyènes, des termites, des vautours, des antilopes et des léopards. Tous ces animaux ne se découvrent pas la journée, mais au coucher du soleil, sur la brèche crépusculaire. Nous cheminons parmi les arbres, les cailloux et quelques traces d'animaux encore sauvages. Mon esprit salue maintes et maintes fois ce que mes yeux et ma raison ne peuvent savoir. D'autres esprits se présentent à mes mains qui se tendent et se courbent sur la roche et vers le sol aussi.
Après avoir dominés plusieurs fois le canyon, nous descendons sur un méplat. Les ancêtres du mésolithyque réapparaissent. La magie des peintures datant du charcolithyque fait son oeuvre. Le temps est absorbé. Le foyer du Grand-Père Feu est, à nos jours, encore présent. Mes yeux sillonnent les parois et se projettent sur celles de la Dordogne ou de la vallée du Douro au Portugal. Ils osent le rapprochement de plusieurs civilisations. La conscience a voyagé depuis l'Afrique jusqu'en Inde. Un vieux shaman viendrait ici, paraît-il !
Mon corps s'est ralenti et le fil de mes pensées s'est détendu. Celles-ci n'évoluent plus selon une chronologie initiale. L'énergie pénètre mes facultés perceptives et les nourrit. Le lieu me communique une intuition transmissible. Celle-ci oeuvre avec la terre et les esprits qui en formulent l'expression.
Nous atteignons avec un ravissement peu commun, la grande cascade, celle dont tout Bundi recommande d'aller voir au moins une fois dans sa vie. Les habitants de la ville n'ont pas tort. Un arc-en-ciel joue à cache-cache entre les broussailles et la lumière. Mes pieds se nettoient des pas trainants dans la circulation du macadam, et de mes mains lasses de prendre et de rejetter, en sortent émotions et scories de toutes sortes. L'eau emporte tout.
Nous descendons jusqu'au temple, jusqu'à la racine aussi du waterfall. Le bonheur plonge dans les profondeurs de la forêt. Divines salutations aux dieux du temple, aux hommes et aux femmes qui vénèrent avec foi, présence et chants. De retour sur les hauteurs, ma voix déborde de ma pensée. Mes prières dévalent le canyon avec force et intention.
Des rêves alors me poursuivent tandis que le petit van se faufile sur le chemin du retour. Ma compagne me dit que ce pays est vraiment très attachant. Mes yeux se réveillent sur des images essentielles qui nous a reliés jusqu'ici à ces êtres paisibles. Les rêves me reprennent en laissant un passage éphémère à l'alternance. De quel monde s'agit-il vraiment ? Serais-je celui qui me regarde dormir ? Assis sur le capot d'une voiture, ou suspendu à l'épaule d'un ami, qui  lui aussi, aurait le bras tendu vers nulle part.